Alan Roura: “Avoir ce merveilleux bateau et ce super partenaire, pour moi, c’est le rêve ultime de tout marin.“
Avec son Imoca aux couleurs de Hublot, le skipper suisse évoque la course en mer, son bateau, ses partenaires, quelques jours avant de franchir la ligne de départ, le 6 novembre prochain, de la Route du Rhum 2022 à Saint-Malo. En toute humilité.
Comment êtes-vous devenu marin professionnel?
Je ne viens pas du monde de la régate ni de la course au large. Je n’ai pas non plus de connexion familiale ou amicale avec la compétition, mais j’ai passé toute ma jeunesse, de 8 à 19 ans, à voyager sur un bateau autour du monde. Durant cette période, croiser des bateaux de course, dont ceux de la Mini Transat, une transatlantique en solitaire sur des voiliers de 6.50m, m’a donné envie de me lancer. À 19 ans, au terme de ce voyage, je me suis risqué dans l’aventure avec la volonté de participer à la Mini Transat. Je termine cette course et là, des questions se posent: est-ce que j’ai envie de continuer ou pas la voile, c’est une carrière qui est très difficile, est-ce d’ailleurs vraiment une carrière? Une passion plus qu’un métier? Après environ trois mois de réflexion, je me suis attaqué à ma première Route du Rhum. C’était en 2014, à 21 ans. Cette course s’est mal terminée, mais après, j’ai enchaîné avec la Transat Jacques Vabre puis d’autres régates. Quand on met le doigt dans la course au large, cela devient une passion. Et c’est également un vrai métier parce qu’il faut se préparer, se structurer. C’est un métier difficile…
Comment se retrouve-t-on à la barre d’un bateau aux couleurs de Hublot?
Tout seul, on ne fait rien. Tous les projets ont été montés avec ma femme, à l’exception de la Mini Transat, car nous nous sommes connus sur cette course. On y arrive avec le bon entourage, avec la bonne philosophie de vie, énormément de travail et des rencontres.
Il faut de plus être un “pitbull“. Hublot, ça fait cinq ans qu’on y travaillait. Ce n’est pas juste: “on les a appelés, ils ont dit oui“. Tout travail paie à un moment donné, mais il est important de croire en ce qu’on vend aussi. Nous, on a toujours présenté des projets avec beaucoup d’humilité, d’honnêteté, sans prétendre aller décrocher la Lune, des projets très humains, sincères. Je pense que c’est ce qui plaît à nos partenaires aujourd’hui. C’est cette démarche que l’on a, avec un bateau qui n’est pas tout récent non plus, une équipe qui grandit, et de la continuité.
Mes parents habitent à proximité de la manufacture Hublot. Pour le précédent projet, mes sponsors étaient un peu plus loin sur la route et je passais devant régulièrement. Et je me disais à chaque fois, un jour ça sera eux. Et c’est arrivé! Hublot, c’est vraiment une marque qui détonne. Casser les codes, c’est déjà trop utilisé pour la définir. Elle est jeune, dynamique, qui est pour une clientèle infinie. Il n’y a pas d’âge pour porter une Hublot. L’équipe est juste géniale. Ils sont à fond avec le projet. Il y a une forte implication de leur part, c’est aussi leur projet, leur bébé. Ça crée un lien. Nous sommes très fiers de porter leurs couleurs. C’est bénéfique des deux côtés. Je pense que l’on est l’un des rares bateaux à être sponsorisés par une marque horlogère… depuis bien longtemps. C’est une super dynamique qui nous mène jusqu’au Vendée Globe 2024.
On a besoin également de plusieurs partenaires. Le Groupe Solano et Bonhote, avec Hublot, permettent de construire quelque chose ensemble et d’avoir le budget pour le faire. Pour nous, c’est une grande fierté avec l’équipe d’être arrivé à ce niveau-là. J’ai commencé la course au large en autodidacte, sans budget, sans aucune prétention. Avoir ce merveilleux bateau et ce super partenaire, pour moi, c’est le rêve ultime de tout marin. C’est posséder toutes les cartes en main pour prétendre à quelque chose de bien.
Aussi, c’est positif d’avoir des valeurs communes. Mon objectif a toujours été de représenter la Suisse, notre culture, nos valeurs, notre savoir-faire et je trouve qu’on a un projet avec des partenaires qui correspondent à notre démarche.
Comment se prépare-t-on à sa 3e participation à la Route du rhum?
On ne se prépare pas à une course que l’on connaît, parce que chaque course est tellement différente, en fonction des conditions météo, des participants. Là, on a un plateau de bateaux incroyable, le niveau… on a jamais vu ça ! Je m’y prépare depuis qu’on a récupéré ce bateau, fin d’année dernière. On travaille pour le comprendre, essayer de le faire évoluer tout au long de l’année pour les conditions que l’on va rencontrer sur le Rhum, travailler sur les voiles, sur des poids dans le bateau, sur des réglages… On a de plus beaucoup navigué.
Après, c’est un travail personnel, une préparation physique ou mentale qui va permettre de tenir la cadence tout au long. C’est un exercice particulier, le Rhum, c’est un sprint. C’est 10, 12 jours de course. Il faut être le plus performant sur cet espace-temps, ce qui veut dire qu’on ne va pas beaucoup dormir.
Comment manger, comment récupérer des forces le plus rapidement possible? La réalité, sur l’eau, ça ne se passe jamais comme prévu. Les 2-3 premiers jours de course, on ne dort pas du tout. Le bateau est optimisé pour 12 jours de course, si je mets 13, tant pis pour moi… Je pratique l’outdoor, les sports nature, vélo, course à pied, et renforcement musculaire, gainage, en extérieur…
Pouvez-vous nous décrire une journée type en mer?
Il faut manger à des heures fixes, essayer de garder un rythme de vie, en fonction du lever et du coucher du soleil. Dormir? On dort un peu, quand on peut. En gros, on va passer 2 à 3 heures par jour pour tracer sa météo, faire son routage. Après, c’est réglage et changement des voiles, l’entretien du bateau. On va tenter de se reposer, 4 heures par 24h. De vraiment libre, pour rien faire, ce qui n’arrive pas, il y a 2 heures dans la journée… Ce sont de gros bateaux qui demandent beaucoup de temps. Une manœuvre très rapide dure 30 minutes, la plus lente, une heure et demie… quand tout va bien. Tout est long. Lorsqu’on change de direction, il faut déplacer les poids dans le bateau, donc on va bouger 600 kilos de voiles à la main, une par une.
Quand on est sur l’eau, les journées sont interminables ou elle passe trop vite. C’est bien de toujours avoir une horloge qui nous indique l’heure pour conserver ses repères. Plus on passe du temps en mer, plus on perd la notion du temps. La montre Hublot ne me quitte plus. Elle est à bord avec moi, mais je la pose dans le bateau. Je ne peux la porter au poignet, car c’est dangereux en mer.
Qu’avez-vous amélioré sur le bateau?
Le bateau est très typé en termes de performance et d’ergonomie. C’est un bateau à foils en C, optimisé pour les vents portants. Par contre dans les autres allures, c’est plus complexe en utilisation. On a travaillé comme des acharnés pour trouver comment le faire marcher dans toutes les allures. Et on a enfin réussi avec des réglages sur les voiles, les poids. Depuis, on a un bateau incroyable. Il faut alors s’habituer à atteindre des vitesses élevées, jusqu’à 35 nœuds ! Nous n’avons pas la même philosophie avec Alex Thompson (NDLR: l’ancien propriétaire). On ne navigue pas de façon identique. On a conservé ce qu’on trouvait bon, dans l’ergonomie, dans les voiles. Le reste, on l’a retravaillé ou changé. On a beaucoup gagné en performance. Il y a eu le mode d’emploi d’Alex Thompson au début qui était le sien et aujourd’hui, on est en train d’écrire le nôtre. On garde le sien pour le portant, par contre pour toutes les autres allures, notre mode d’emploi a l’air nettement mieux. Mais rien n’est acquis. Il va falloir bosser jusqu’au bout !